On a profité des vacances avec Eliane et Jean-Claude pour visiter l’Habitation Clément, qui a la particularité de mêler l’ancien patrimoine de la plantation – l’usine à sucre et à rhum – et l’art contemporain, puisque la Fondation Clément, propriété de la famille Hayot, se targue d’être le seul lieu où l’on puisse admirer des œuvres contemporaines en Martinique. Pas tout à fait faux, hélas, car du côté des pouvoirs publics, on ne peut pas dire que les efforts en la matière soient franchement visibles. On peut le regretter, car du coup, la mémoire et l'histoire patrimoniales de l'île est d'abord celle de ceux qui ont été les bénéficiaires de l'économie de l'esclavage et de la colonisation.
Le patrimoine martiniquais visible est, qu'on le veuille ou non, celui du béké… qui aujourd'hui fait des efforts pour rendre hommage à ceux qui se sont éreintés à l’usine et dans les champs de canne. Mais, à l'Habitation Clément, si la mémoire de l'usine est très présente et artistiquement mise en scène, celle de l'esclavage, elle, est totalement absente… sauf peut-être justement dans les oeuvres d'art contemporaines du parc.
En revanche, la mémoire de l'usine et des ses travailleurs, elle, est intelligemment mise en scène. Ainsi, l’exposition photographique de Jean-Luc de Lagariuge, lui-même, enfant de planteur, dont les superbes portraits d’amarreuses, tonneliers, chauffeurs et autres ouvriers des usines à rhum donnent vie à ce qu’il reste de l’ancienne fabrique. Enfant de béké, il a eu un choc en visitant en 1991 à Nantes l'exposition "Les Anneaux de la Mémoire" et n'a eu de cesse depuis d'explorer dans son travail de photographe l'histoire des habitations dans la Caraïbe.
Bosser pendant 48 ans en tant qu’amarreuse comme Louise … En 1931, quand elle a commencé à travailler, on coupait encore les cannes à la machette. Le boulot de l’amarreuse, c’était de ramasser et de lier la canne coupée amarreuses en fardeaux qu’elles portaient sur leur dos avant de les déverser dans les charrettes ou les wagonnets. Il faut lire « Régisseur du sucre » et « Commandeur du rhum » de Raphaël Confiant (éditions « Ecriture ») pour revivre ce que fut l’économie de la plantation. La description du couple que forme le coupeur et l’amarreuse, attaché l’un à l’autre par un labeur d’une dureté inimaginable, est implacable. Mieux valait encore l’usine que les champs.